L’art, miroir des époques
#3 Ou Chaque époque historique a connu son art contemporain que le public ne comprenait pas.
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Thème de cette édition :
Réflexion 🧠 L’art, miroir des époques
Artistes 🌈 Quand l’Antiquité inspire les artistes contemporains
Astuces 🎁 d’artistes pour réinterpréter des oeuvres antiques
Petit mot 🙋♀️ Et la semaine prochaine ?
Temps de lecture : 10 minutes
Nous sommes à la fois acteurs et observateurs d'une société qui évolue constamment, influençant notre façon d'appréhender les œuvres d'art. Dans cet univers saturé d'images et d'informations disponibles instantanément, nous peinons, souvent par manque de temps, à prendre le recul nécessaire pour véritablement comprendre et apprécier l'art qui nous est présenté.
Dans ce contexte de diversité artistique, où toute création peut être considérée comme de l'art dès lors que son auteur se revendique artiste, Donald Judd affirmait déjà en 1966 : "si quelqu'un déclare que son œuvre est de l'art, alors elle l'est". Cette auto-reconnaissance, renforcée par la validation des experts et du public, soulève des questions.
Mais c’était comment avant ?
L'art contemporain, souvent associé à des œuvres énigmatiques et perçu comme un phénomène propre à notre époque, est en réalité une constante à travers l'histoire. Chaque époque a vu naître des formes d'art qui, en remettant en question les normes esthétiques et culturelles, ont souvent été mal comprises par leur public contemporain.
Dans cette mini-série portant sur le thème "Chaque époque historique a connu son art contemporain que le public ne comprenait pas", je vous invite à redécouvrir un artiste majeur qui, mal compris en son temps, a néanmoins influencé et continue d'inspirer les créateurs d'aujourd'hui, tout en mettant en lumière des artistes contemporains reconnus ou jusqu'alors méconnus.
🧠 Antiquité
Pour cette période, mon choix s’est naturellement porté sur un sculpteur grec célèbre pour avoir apporté un idéal de beauté et une expression de la forme humaine qui ont profondément influencé l'art de son époque et des générations futures.
Imaginez-vous remonter le temps et vivre dans l'Antiquité,
où l'art principalement fonctionnel et religieux servait à honorer les dieux ou à commémorer les grands hommes.
C’est dans ce contexte que l'un des sculpteurs de la Grèce antique, le célèbre Praxitèle, actif au IVe siècle avant Jésus-Christ a introduit des innovations qui ont bouleversé les canons artistiques.
Avec sa statue “Aphrodite de Cnide”, Praxitèle a non seulement créé l'une des premières représentations nues de la déesse de l'amour, mais a également introduit une nouvelle approche de la sculpture caractérisée par une douceur des formes et une sensualité jusqu'alors inédites, invitant à une nouvelle appréciation de l'humanité et de la nature.
Praxitèle a su capturer dans le marbre des émotions subtiles et des instants de vie, conférant à ses sculptures une présence et une intimité qui établissent un dialogue direct avec le spectateur. Cette capacité à évoquer l'émotion et à créer une connexion personnelle avec l'œuvre est une caractéristique que l'on retrouve dans l'art contemporain, où l'expérience individuelle et la résonance émotionnelle jouent un rôle central.
Son oeuvre a fait frémir les puristes de l'époque car elle rompait avec la tradition de représentation des divinités de manière idéalisée et non sexuée. Praxitèle a ainsi marqué un tournant dans l'art de la sculpture et était, en quelque sorte, le rebelle de son temps, défiant les conventions avec marbre et ciseau.
Ludovic Laugier, conservateur du patrimoine en charge des sculptures grecques au Musée du Louvre, parle avec passion dans cette vidéo de la Grèce antique et de ce grand artiste athénien Praxitèle, avec une anecdote 💟 entre les insulaires de Cos et ceux de Cnide (vidéo 19:03).
L'influence de Praxitèle dépasse largement les frontières de son époque. Son travail a contribué à façonner les canons de la beauté dans l'art occidental et reste un sujet d'étude et d'admiration pour les historiens de l'art, les sculpteurs et les amateurs d'art du monde entier. En résumé, Praxitèle, à travers “Aphrodite de Cnide” et d'autres œuvres qui lui sont attribuées “l'Hermès portant Dionysos enfant”, “le Satyre verseur”, et l'”Apollon Sauroctone”, a laissé un héritage durable qui continue d'influencer la manière dont nous percevons et apprécions l'art et la beauté.
🌈 Quand l’Antiquité inspire les artistes contemporains
L’Antiquité constitue aujourd’hui un univers référentiel riche et stimulant dans lequel les artistes viennent puiser leur inspiration, nous invitant à réfléchir sur notre présent en relation avec notre passé comme en témoignent par exemple les oeuvres de :
Robert Mapplethorpe (1946-1989) : photographe américain célèbre pour ses portraits en noir et blanc, ses natures mortes et ses œuvres explore la complexité des relations humaines et de la sexualité. Ses photographies, souvent considérées comme provocatrices, ont joué un rôle crucial dans l'acceptation de la photographie comme une forme d'art à part entière et ont contribué aux États-Unis à la discussion sur les questions LGBTQ2+ dans l'art contemporain.
En France, l'Antiquité et ses mythes occupent également une place significative dans la culture LGBTQ2S+, par le travail de notre duo d'artistes français Pierre et Gilles, largement reconnu pour son exploration des identités de genre et de la sexualité au travers de ses portraits photographiques hautement stylisés et souvent érotiques.
Daniel Arsham : artiste contemporain américain, qui a exposé son travail à la Galerie Perrotin, est reconnu pour ses œuvres qui brouillent les frontières entre art, architecture et performance. Ses créations, souvent caractérisées par une esthétique de "ruines futures", explorent les thèmes de la décomposition et de la réinterprétation des objets culturels, invitant les spectateurs à réfléchir sur le temps et la mémoire.
Sergio Roger : artiste barcelonais a relevé le défi audacieux de recréer les célèbres marbres de l'Antiquité en tissu, donnant naissance à des sculptures en lin minimalistes mais immédiatement reconnaissables, qui transforment l'esthétique antique avec leur douceur organique et leur charme enfantin.
Léo Caillard : artiste français contemporain connu pour son approche ludique et innovante qui fusionne l'antiquité avec la modernité, comme en témoigne sa série "Hipsters in Stone" où il habille virtuellement des statues classiques dans des vêtements modernes. Son travail, qui joue souvent avec les codes visuels et les contextes historiques, invite à une réflexion sur la perception de l'art et la culture à travers le temps.
Fabio Viale : sculpteur italien contemporain réputé pour son habileté à transformer le marbre en œuvres d'art qui défient les attentes, comme en témoignent ses tatouages réalistes gravés sur des sculptures classiques. Son travail, qui mêle techniques traditionnelles de sculpture et influences modernes, remet en question les conventions artistiques et la perception du spectateur sur les matériaux et les formes.
Stephen Chappell : est un artiste spécialisé dans la restitution numérique colorée de sculptures antiques, principalement romaines, qui rétablit des éléments perdus en recréant les couleurs originales des œuvres. Son travail, exposé fin 2023 dans le cadre de l'exposition "Qui es-tu Apollon ? de Juliobona à la culture pop" au musée Gallo-Romain à Lillebonne, visait à sensibiliser le public au processus historique de restauration et à la polychromie antique, souvent méconnue, révélant ainsi une nouvelle dimension des sculptures classiques.
° La littérature, la musique et l'audio-visuel
s’imprègnent de l’Antiquité dans la culture contemporaine :
Cinéma : "Harry Potter" intègre des éléments de la mythologie grecque, à travers le personnage de Fluffy, un chien à trois têtes inspiré de “Cerbère”, le gardien polycéphale des Enfers, célèbre pour avoir été capturé par Hercule dans ses Douze Travaux.
De même, “Wonder Woman” est représentée comme une amazone, fille de Zeus, renforçant le lien entre la culture populaire contemporaine et l'antiquité mythologique.
Littérature : Des œuvres littéraires contemporaines continuent d'explorer les thèmes antiques, comme le roman "L'Évangile selon Pilate" d'Éric-Emmanuel Schmitt, (que je viens juste d’entamer) qui revisite la figure de Ponce Pilate et les événements de la crucifixion de Jésus.
Musique : Des compositions musicales s'inspirent de l'Antiquité, à l'image de l'opéra "Julius Caesar" de Haendel, qui met en scène des figures historiques de l'époque romaine.
Mode : La mode s'inspire également de l'Antiquité, avec des créateurs comme Coco Chanel qui ont utilisé des motifs et des formes antiques dans leurs créations.
Publicité : L'Antiquité est utilisée dans la publicité pour évoquer des idéaux de beauté et de luxe, comme dans les campagnes de parfums ou de montres de luxe.
Jeux Vidéo : Pour les Geekers, la série "Assassin's Creed" d'Ubisoft (qui a été adaptée au cinéma) intègre des éléments historiques et mythologiques de l'Antiquité pour enrichir l’univers du jeu.
Bandes Dessinées et Mangas : Pour ceux qui aiment les Mangas, "Thermae Romae" de Mari Yamazaki, raconte l'histoire d'un architecte romain transporté dans le Japon moderne avec plein de références historiques. (mon fils a adoré !)
L'Antiquité est représentée dans un corpus riche et diversifié dans tous les domaines de la culture contemporaine.
Astuces 🎁 d’artistes pour réinterpréter des oeuvres antiques
Dans leur recherche constante de nouveauté et d'originalité, les artistes contemporains puisent souvent dans le riche réservoir de l'Antiquité, adoptant diverses méthodes, techniques et sujets dans l'espoir de captiver leur audience. Bien que certains spectateurs restent insensibles à ces concepts innovants, d'autres y adhèrent pleinement, soulignant ainsi le pari audacieux que représentent ces réinterprétations d'œuvres antiques.
° Réinterprétation des formes et des symboles
L'une des manières les plus évidentes par lesquelles l'Antiquité influence l'art contemporain est la réinterprétation de ses formes et symboles.
La série "Antiquity de Jeff Koons” est une exploration de la rencontre entre l'art antique et les techniques contemporaines. Elle comprend des œuvres qui réinterprètent des motifs et des figures de l'Antiquité, tels que des statues classiques, des déesses et des scènes mythologiques, à travers le prisme de l'esthétique pop et des matériaux modernes caractéristiques de Koons.
° Exploration des thèmes universels
Les thèmes universels explorés par les artistes de l'Antiquité, tels que la beauté, l'amour, la guerre, la mortalité, le divin, l'héroïsme, la spiritualité et la condition humaine, continuent de résonner dans l'art contemporain. Les mythes et les légendes antiques, avec leurs récits riches et complexes, offrent un cadre narratif que les artistes contemporains exploitent à leur tour pour commenter les enjeux actuels. Par exemple, l'utilisation de la figure d'Hercule dans des œuvres contemporaines peut servir à discuter de la masculinité, du pouvoir ou de la lutte personnelle.
David David : sa sculpture d'Hercule en bronze, intitulée "Hercule In art", s'inscrit dans la tradition de la représentation d'Hercule, tout en apportant une touche moderne dialoguant avec les thèmes actuels de la force, du courage et de l'endurance.
° Techniques et Matériaux
L'utilisation de matériaux traditionnels tels que le marbre, le bronze ou la terre cuite dans des contextes contemporains crée un pont entre les époques, soulignant la continuité et l'évolution de l'expression artistique. L'art contemporain s'inspire également des techniques et matériaux de l'Antiquité, mais en les réinventant souvent avec des technologies modernes. L'impression 3D, la photogrammétrie et d'autres techniques numériques permettent de recréer et de manipuler des œuvres antiques, offrant une nouvelle perspective sur ces oeuvres.
Olivier Latric : artiste autrichien associé au mouvement "post-internet", a exploré les intersections entre l'Antiquité et l'art contemporain dans l'exposition "Mémoire Vive" au Musée de la Romanité à Nîmes, en utilisant des technologies comme l'impression 3D et la photogrammétrie pour recréer des œuvres historiques. Son travail, qui questionne l'unicité des œuvres d'art à l'ère numérique, offre une vision inédite des collections archéologiques, les rendant "plus vivantes que jamais".
° Dialogue entre le passé et le présent
L'Antiquité continue d'inspirer et d'influencer l'art contemporain de manière profonde et variée. Ce dialogue entre le passé et le présent enrichit non seulement la création artistique, mais offre également aux spectateurs des clés pour comprendre et interpréter le monde qui les entoure. L'art contemporain, en puisant dans l'héritage de l'Antiquité, démontre que malgré le passage des siècles, les questions fondamentales de l'existence humaine restent universelles et intemporelles.
Jeff Koons, dans son œuvre "Gazing Ball (Centaur and Lapith Maiden)"d’après le fronton ouest du temple de Zeus à Olympie, 472-457 av. J.C. fusionne l'art antique avec des éléments contemporains pour créer une interaction unique entre le spectateur et l'œuvre. En incorporant une boule réfléchissante (Gazing ball) sur une réplique d'une scène du fronton ouest du temple de Zeus à Olympie, Koons invite le spectateur à s'engager physiquement avec l'histoire et l'esthétique de l'Antiquité tout en se voyant littéralement dans l'œuvre. Cette juxtaposition crée un dialogue entre le passé et le présent, soulignant la continuité et l'immédiateté de l'expérience artistique à travers le temps. Koons cherche ainsi à transmettre l'idée que l'art, qu'il soit ancien ou moderne, est un vecteur d'interconnexion humaine et de réflexion personnelle.
° Critique et Réflexion
Au lieu de se limiter à une simple reproduction ou imitation, ces artistes envisagent leur travail comme un dialogue avec l'Antiquité, se questionnant sur la pertinence de celle-ci pour eux-mêmes et pour le public d'aujourd'hui. Cette démarche permet de remettre en question les perceptions et les interprétations du passé, tout en offrant une réflexion critique sur notre société actuelle pour questionner l'identité culturelle, la mémoire historique et la transmission du savoir.
Petit mot 🙋♀️ Et la semaine prochaine ?
J’espère que cette newsletter assez dense vous a plu !
Nous voici à la fin de cette newsletter qui a nécessité un travail de recherche colossal. Il est toujours plus simple de trouver des articles sur des artistes renommés que sur des artistes moins connus.
Je tiens à remercier tout particulièrement les personnes qui me soutiennent en me mettant à chaque fois un petit coeur avec leur coeur.
Et la semaine prochaine ?
Je vous parlerai du Moyen Âge, une époque où les enluminures complexes et les cathédrales gothiques élevaient l'esprit mais laissaient le public méditer sur leur signification profonde.
À la semaine prochaine,
Cécile 💟
Je suis en train d'accrocher sérieusement à votre newsletter, en reconnaissant la qualité de vos recherches et de vos argumentations.
Ce n'est que le début, mais j'imagine déjà un condensé de ces petits joyaux réunis sous votre signature.
Merci de mettre en lumière ce qui de notre héritage antique (et judéo-chrétien) se rejoue dans l’art occidental, offrant à chaque fois une nouvelle perception de l’art. La volonté de certains de faire «tabula rasa » ou d’annoncer que la peinture est morte n’est-elle pas plus facile à dire qu’à faire? 😉